Les juifs d'Oran

 

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A Oran, en 1220, la situation des juifs est à ce point précaire qu'il n'existe plus de synagogue officielle. En fait, subsiste une petite communauté qui fait les frais de chaque montée de fièvre.

En 1287, un premier groupe de juifs de Majorque arrive à Oran après la conquête de l’île par Jacques 1er d'Aragon : c'est le début d'un événement capital pour l'histoire du judaïsme en Afrique du Nord.

En effet, les relations entre chrétiens et juifs de la péninsule ibérique deviennent de plus en plus difficiles et en 1391 commencent les premiers massacres en Castille, en Aragon et aux Baléares.

Le 2 août 1391, trois cents juifs de l’île de Majorque périssent avec leur rabbin, tandis que huit cents autres réussissent à s'enfuir et à gagner les côtes de l'Afrique.

Le 30 mars 1492, Ferdinand d'Espagne et Isabelle la catholique décident que, le 30 juillet suivant, il ne devra plus rester un seul juif dans leur royaume d'Aragon et de Castille ainsi que dans les îles de Sicile et de Sardaigne. Et, le mardi 31 juillet 1492, c'est 200 000 personnes qui s'expatrient et un millier d'entre eux vers le Maghreb ; Oran en recevra la plus grande part.

 

Ces juifs espagnols s'installent à Fès, Meknès, Marrakech, Debdou, Tanger, Tétouan, Salé, Arzila, Larrache, Rabat, Safi, Tlemcen et Oran.

Leur arrivée ne se fait pas sans heurts ; ces nouveaux venus amènent avec eux une civilisation, une mentalité et des connaissances différentes de celles du milieu autochtone ; certains ont pu emporter une part de leurs richesses, qui, ajoutée à leur compétence commerciale, leur avance technique et scientifique, fait d'eux de redoutables concurrents pour les juifs déjà installés et qui depuis des siècles au contact des arabes leur ont pris leur coutumes et parlent leur langues. Ainsi, par exemple, le rabbin Amram Mérouas Ephrati essaie de combattre la coutume, empruntée aux musulmans, des sept jours de lamentations dans les cimetières.

Cependant, les sages des deux parties ont à cœur de maintenir l'unité et à l'occasion, les espagnols porteurs de bérets, sauront revêtir le turban.

Les espagnols occupent Oran jusqu'en 1708 ; ils vont en faire une ville fortifiée car ils seront continuellement harcelés par les arabes des provinces alentours et parfois même étroitement bloqués derrière leurs fortifications.

Etant donné l'isolement de la ville, le pouvoir de Philippe II est amoindri et une certaine tolérance vis-à-vis des juifs est d'abord instaurée : les juifs sont les intermédiaires entre ces chrétiens et les musulmans ; ils sont négociants et contrôlent l'approvisionnement de la garnison ; ils écoulent le butin provenant des razzias espagnoles et servent quelquefois d'intermédiaires dans le commerce des esclaves. Ils sont aussi soldats et touchent une solde du roi d’Espagne tel Salomon Cansino qui tua le chef des algérois Mustapha à l'occasion d'un des nombreux sièges de la ville. Ils occupent aussi les métiers traditionnels tels que teinturiers, cordonniers ou orfèvres.

Enfin, avec la connaissance qu'ils ont, ils vont acquérir des positions importantes comme interprètes officiels ou agents de renseignements, tels Jacob Cansino ou le célèbre rabbin Jacob Sasportas.

La population juive vit dans un quartier séparé du quartier espagnol, entouré de murailles et gardé par un escadron de soldats en armes.

Les femmes ne sortent qu'en de rares occasions ; elles ont une réputation de réserve et d'honnêteté.

Les plats du Shabbat sont portés au four public des chrétiens par des esclaves arabes.

Les juifs ont l'obligation de rester enfermés dans leur quartier pendant la semaine dite «sainte» ; ils ont l'interdiction d'agrandir leur synagogue et nous l'avons vu plus haut, l'interdiction de prier trop fort dans la synagogue (on peut se demander si l'habitude de déclamer et de chanter à voix très haute dans les synagogues algériennes n'est pas une sorte de revanche posthume contre cette interdiction).

Dans la «très chrétienne Espagne», Oran constitue la seule enclave où les juifs sont appréciés. Cette situation va susciter des attaques, les brimades contre eux reprennent et le 31 mars 1668, un arrêt d'expulsion est prononcé.

Le rabbin Aaron Siboni raconte que le 16 avril, premier jour de Pessah, un orage providentiel oblige le bateau transportant les juifs bannis à revenir dans la rade de Mers el-Kébir. Le 22 avril, quatre cent soixante six juifs sont expulsés et se dispersent dans les villes de Livourne, Villefranche et Nice.

En 1669, le marquis de Los Velez expulse tous les juifs d'Oran.

 

  Le jardin du petit Vichy  

 

De 1708 à 1732, la ville passe aux mains des turcs, les juifs reviennent nombreux. Ils sont autorisés à construire une nouvelle synagogue ; ils pratiquent librement leur religion et s'organisent en juridiction autonome.

Ils deviennent suffisamment nombreux et importants pour avoir leurs propres dayanim (juges rabbiniques) qui sont successivement : Joseph Chouchana, Isaac Chouraqui et Moïse Israël.

De 1735 à 1738, les espagnols occupent à nouveau Oran et les juifs sont de nouveau expulsés ; ils s'exilent vers Tlemcen ou Mascara. Seuls quelques uns comme Moïse Delmas, David Soliman ou Jacob Cohen-Solal restent dans la ville et rendent leur présence suffisamment indispensable pour qu'en 1734, ils soient officiellement invités à se réinstaller dans la ville.

Très peu profiteront de cette offre et attendront des circonstances plus favorables, ce qui certainement leur sauvera la vie.

Car, la mémoire populaire a conservé le souvenir de la tragédie du tremblement de terre, surtout parmi les vieilles familles juives de Tlemcen, de Sidi-bel-Abbès, de Mascara et de Mostaganem. En effet, des familles comme les Bacri, les Benzaquen, les Bénichou, les Darmon et d'autres qui avaient été chassées par les Espagnols et leur inquisition, n'attendaient qu'une bonne occasion pour y revenir et de ce fait, s'intéressaient de très près à la vie de la cité.

1792 marque la naissance d'une nouvelle communauté juive à Oran ; elle ne connaîtra plus ni arrachement, ni exil avant 1962.

Si les juifs algériens n'ont pas été trop maltraités par les arabes, les turcs par contre, se sont montrés cruels et injustes ; partout les juifs sont enfermés dans le Mellah, ce ghetto hors duquel ils ne peuvent s'établir.

Ils n'ont, par exemple, pas le droit de porter des lanternes et s'ils doivent circuler la nuit, se contentent de bougies. Comme la loi fait interdiction de circuler sans lumière, ils sont en infraction au moindre courant d'air.

En revanche, d'autres juifs occupent le sommet de l'échelle sociale et même du pouvoir politique.

Ces juifs sont dit «francs», comme Mardochée Darmon (agent commercial et diplomatique du Bey) ou Bacri et Busnach (qui seront mêlés de près à l'affaire du coup d'éventail à l'origine de la venue des français).

Livournais pour la plupart, ces juifs sont considérés comme étrangers et traditionnellement placés sous la protection du Consul de France.

En 1794, des pèlerins venus de la Mecque apportent une nouvelle épidémie de peste et la ville redevient pratiquement déserte. Afin de peupler la ville, le Bey distribue à bas prix des terrains situés entre le Château Neuf et le Fort Saint André, le long du rempart Est, dans la ville haute, à des juifs venus de Nedroma, Mostaganem, Tlemcen et Mascara. Il concède, également gratuitement, un terrain pour leur cimetière.

A l’arrivée des français, la population musulmane, impuissante à lutter par les armes contre ces envahisseurs, rend les juifs responsables de la capitulation et décide de se livrer au pillage et au massacre de toute la communauté avant de fuir la ville.

Selon la tradition, les juifs se réunissent alors dans les synagogues pour une nuit de prières.

Le lendemain, les musulmans ont quitté la ville, chassés par la nouvelle de l'arrivée imminente des français.

Le 6 Av, date de cet événement, est considéré comme jour de fête : c'est le Pourim d'Oran. Le Rabbin Messaoud Darmon compose pour la circonstance un hymne en vers : ce poème sera lu dans toutes les synagogues d’Oran, tous les Shabbat précédant le 6 Av, jusqu'en 1962.

Les 40 premières années de l'occupation française, l'histoire de la communauté juive est celle d'une assimilation voulue avec beaucoup de lucidité et d'énergie par des dirigeants qui ont vu où est l'avenir et dont l'influence sur la masse est déterminante.

En 1832, le recensement indique que pour une population de 3 800 habitants, 2800 israélites vivent à Oran. En 1843, la population juive est de 4287 personnes (1531 hommes, 1356 femmes et 1400 enfants) et en 1850 elle est passée à 5073 âmes (1217 hommes, 954 femmes et 2902 enfants)

Dès 1831, Ange Amar organise une garde nationale juive.

  Classe d'école maternelle à Oran en 1945  

 

En 1840, les autorités religieuses juives organisent des écoles où l'enseignement se fait en français. Les rabbins, successeurs des anciens dayanim sont en effet souvent très cultivés, ainsi le Rabbin Cohen-Scali qui écrit des «responsa» ou le Rabbin Moshé Sébaoun qui réunit une collection de près de cinq mille ouvrages hébraïques.

Mais, dès qu'ils en auront la possibilité, les jeunes juifs fréquenteront l'école communale, puis le lycée. Les meilleurs achèveront leurs études en France, avant de revenir s'installer en Algérie comme médecin ou avocat.

En 1840, soixante dix enfants juifs à Alger et vingt à Oran, fréquentent les écoles françaises. Le premier bachelier juif algérien fut Enos Aïnouz à Alger en 1854, et Isaac Bénichou le second à Oran en 1861. La population juive se répartit comme suit : six mille soixante cinq juifs à Alger, deux cent quatre vingt treize à Bône, cinq mille six cent trente sept à Oran, six cent quatre vingt dix huit à Mostaganem, mille cinq cent huit à Tlemcen, trois mille cent cinq à Constantine, six cent vingt cinq à Médéa, et cent douze à Miliana.

D’ici à 1831, cette population va tripler.

Grâce à l'école, la langue française pénètre rapidement dans la masse ; mais entre eux, les juifs continueront longtemps à parler la langue qu'ils se sont faite : le judéo arabe. En 1870, le français et l'hébreu se partagent encore les colonnes du journal «l'israélite algérien» publié par Moïse Netter. D'autres journaux paraissent encore dans la communauté juive d'Oran : «la jeunesse israélite», un journal franco hébraïque, paraissant tous les jeudis et dont le directeur gérant se nomme Elie Karsenty ; il comprend une page en français et trois en judéo arabe.

Le même Elie Karsenty publie aussi tous les vendredis «Maguid Micharim» un journal en judéo arabe dont le siège se trouve au 41 rue de Wagram et au 19 rue de l'Aqueduc.

«La voix d'Israël» est le bulletin officiel de l'Association cultuelle israélite du département d'Oran et parait le premier de chaque mois sous la direction de Moïse Setrouk.

Le 9 novembre 1845, c'est la mise en place de deux consistoires provinciaux. Quelques grandes familles sont omnipotentes comme les Karoubi, les Kanouï, les Lasry. Mais, pour la masse de la population juive, l'existence est précaire : les petits artisans réussissent tout juste à survivre dans les centres de l'intérieur du pays ; dans les grandes villes ils végètent : il y a dix mille sept cent cinquante et un juifs indigents à Oran dont quatre mille cinq cent vingt trois secourus ; sur vingt deux mille vingt deux juifs à Oran, quatre mille neuf cent quatre vingt quatorze sont ouvriers, colporteurs ou domestiques.

En 1859, l'Espagne déclare la guerre au Maroc. Aussitôt, près de quatre mille juifs de Tétouan et d'autres ports marocains, se réfugient à Gibraltar. Là, ils apprennent le saccage de la «judéria» (quartier juif) de Tétouan par les rifains peu avant la prise de la ville par les espagnols.

Le gouvernement de Gibraltar, avec l'accord des autorités françaises, organise l'immigration de ces juifs vers Oran ; souvent aidés par des compatriotes déjà établis dans la ville, les Tétouanais s'installent à Oran et dans toute la région : Sidi-bel-Abbès, Mascara, Mostaganem...

La crise passée, la réussite économique et le climat de liberté que représente pour eux la France, les retiendront en Oranie.

A la veille de la seconde guerre mondiale, l'Afrique du Nord compte environ quatre cent mille juifs répartis pour la plupart dans les grands centres.

 

 

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