Oran et l'antisémitisme

 

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Le 14 juillet 1865, date à laquelle Napoléon III signe le « senatus consulte » sur l’état des personnes et de la naturalisation, qui frappe de nationalité française les israélites et les musulmans qui le désirent, mais dans ce cas qui perdent tout recours au droit mosaïque, marque le début, en Algérie et à Oran, de la période anti-juive. Dès le début, l'antisémitisme algérien est une affaire de politique électorale. La première ligue anti-juive est fondée en juillet 1871 pour écarter les juifs des urnes ; nouveaux électeurs, ils sont 15% du corps électoral et en mesure d'arbitrer les conflits. Car, dociles et sans formation politique, ils votent selon les indications de leur consistoire. Or ceux-ci sont parfois présidés par des personnalités aussi discutées que le fut Simon Kanoui "Le Rotschild d'Oran", grand électeur de l'Oranie de 1871 à 1897 et qui proclamait beaucoup trop haut et beaucoup trop fort que personne n'entrerait à la Mairie sans son aval. Quand l'affaire Dreyfus éclate, la vague anti-juive grossit brusquement Des notables juifs obtiennent la citoyenneté comme Messaoud Karoubi, le président du consistoire d'Oran.

Quelques grandes familles vont aussi en bénéficier comme les Kanouï, les Lasry. Mais la masse de la population juive est plus préoccupée par sa survie et malgré les appels pressants des notables israélites, très peu solliciteront la nationalité française.

Le 24 octobre 1870, le décret Crémieux accorde la nationalisation collective : «les israélites, indigènes des départements d'Algérie, sont déclarés citoyens français ; en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française.»

Ce décret s'insère dans une série de réformes concernant l'administration de l'Algérie dont le but était d'assimiler le statut de cette colonie à celui de la métropole; il fut l'aboutissement d'une longue campagne menée par des libéraux en France et en Algérie et il allait servir de prétexte à un véritable déferlement d'antisémitisme dont les dernières vagues viendront mourir au lendemain des guerres de Libération.

Au total, 34 574 israélites sont devenus citoyens français par ce décret. Au recensement de 1866, les juifs représentaient 13,5% de la population musulmane d'Algérie. Le décret Crémieux n'était applicable qu'aux juifs indigènes et à leurs descendants nés dans les territoires conquis en 1870. Il ne concerne pas les juifs des oasis et des confins algéro-marocains annexés progressivement de 1872 à 1906. En 1946, ils furent proclamés citoyens français au même titre que tous les ressortissants des territoire d'outre-mer.

Les conflits de nature politique allaient exacerber les heurts inévitables entre les éléments de la population qui avaient des origines et des niveaux si considérablement différents.

Au lieu de s'épanouir en harmonieuse continuité, les groupes ethniques allaient se replier sur eux-mêmes : les juifs devaient subir les attaques, puis les injures d'un antisémitisme qui allaient rapidement dégénérer en haine ordurière et bientôt criminelle.

Dés le début, l’antisémitisme algérien est une affaire de politique électorale. La première ligue anti-juive est fondée en juillet 1871 pour écarter les juifs des urnes.

Nouveaux électeurs, ils sont 15% du corps électoral et en mesure d’arbitrer les conflits. Car, dociles et sans formation politique, ils votent selon les indications de leur consistoire. Or, ceux-ci sont parfois présidés par des personnalités aussi discutées que le fut Simon Kanoui « le Rotschild d’Oran », grand électeur de l’Oranie de 1871 à 1897 et qui proclamait beaucoup trop haut et beaucoup trop fort que personne n’entrerait à la mairie sans son aval.

Les années 1898 à 1900 concentrèrent une série d'événements à caractère révolutionnaire : La crise antijuive. On l'attribue parfois à une réaction contre la naturalisation des juifs algériens, consécutive au décret Crémieux; mais elle constitua aussi une manifestation d'hostilité envers la métropole. Certes l'antisémitisme des Européens d'Algérie était latent, mais il fut exploité par les hommes politiques locaux qui dénonçaient le « monopole » des voix juives ( En Oranie, les voix juives représentaient 15% de l'électorat - plus de 50% à Tlemcen-. Les motivations d'ordre électoral restèrent toujours à l'origine de cet antijudaïsme.)

En juillet 1884, Simon Kanoui, le « Rothschild d'Oran », cristallisa cette campagne; des pillages de magasins israélites dégénérèrent en émeutes à Alger. En 1892 le socialiste anarchiste Fernand Grégoire déclarait ouverte la lutte contre les « syndicats judéo opportunistes ». Des ligues antijuives se formèrent à Constantine et Oran en 1896. En mai 1897 en Oranie, on assista à des décisions arbitraires allant de la révocation des agents de police israélites à l'expulsion de malades juifs soignés dans les hôpitaux.

Les manifestations se succédaient; des effigies de Dreyfus furent brûlées en place publique. Les menées antijuives trouvèrent un porte-parole en la personne d'un étudiant, Max Régis Milano, qui proclama en janvier 1898 «  l'heure de la révolution ». L'émeute se propagea. Le gouverneur Louis Lépine, télégraphiait au gouvernement français le 25 janvier : « Passion si violente que malgré les pertes considérables subies à Alger du fait des troubles, la seule chose que la majorité de la population regrette, c'est que les juifs et les représentants de l'autorité n'aient pas souffert davantage. »

En mai 1902, une succession d'agressions sporadiques motiva l'appel lancé à Lyautey qui se vit confier le commandement de la subdivision d'Aïn Sefra (1903-1906), puis celui de la division d'Oran (1906-1910).

Quand l’affaire Dreyfus éclate, la vague anti-juive grossit brusquement.

Des ligues anti-juives se créent, rassemblant dans un parti dit « français » les électeurs de gauche. C’est le pharmacien Gobert, radical anti-juif, qui l’emporte aux élections municipales de 1897.

En mai 1897, un attentat contre un conseiller municipal d’Oran, venu à Mostaganem, assister à une course cycliste, provoque le pillage du quartier juif de cette ville par les musulmans et les européens.

Cet exemple est suivi à Oran où la mise à sac des boutiques appartenant aux israélites dure trois jours. Cependant le gouvernement refuse d’accéder aux exigences de la population qui demande l’abrogation du décret Crémieux.

Dans l'«Echo d'Oran» du 30 décembre 1894, un avocat anti-juif écrit : « l'âme algérienne est à peine esquissée, mais elle se constitue peu à peu et s'affirme lentement sous la juxtaposition des individus d'abord étrangers, progressivement solidaires et finalement confondus. Dans 50 ans, il y aura des algériens en Algérie, toujours français, mais quelque peu espagnols, italiens ou maltais, sinon légèrement teintés d'arabes. Puisqu'un jour l'Algérie ne doit plus être à la France, qu'au moins elle ne soit pas l'ennemie de la France». Il se forme alors un parti séparatiste.

Mais le marasme économique dans lequel se débat l’Algérie démobilise les politiciens.

« On ne vit pas de politique » est-il écrit dans la dépêche algérienne du 1er avril 1902. Aux élections de la même année, les candidats républicains l’emportent sur les anti-juifs : le calme est revenu.

Le porte-parole de l’anti-judaïsme sera longtemps un vieux médecin oranais, le docteur Molle.

Battu aux élections législatives de 1919 et 1924, celui que ses amis appellent le rénovateur de l'antisémitisme algérien, entreprend une violente campagne contre ces juifs auxquels il ne pardonne pas d'avoir voté contre lui.

Fondateur d’une « ligue latine » puis d’une « union latine » qui appelle l’union des latins contre les juifs, il entend avant tout décourager ou effrayer les quatre mille électeurs israélites d'Oran et attirer les huit mille électeurs d'origine espagnole, il réussit à obtenir le boycott des commerçants juifs.

 

Aux élections municipales de mai 1925 marquées par de graves incidents, la liste anti-juive du docteur Molle l'emporte avec deux mille voix de majorité.

Le docteur Molle est soutenu dans sa campagne par la démagogie raciste du journal «le petit Oranais» qui s'adresse au prolétariat européen pour l'inviter à «secouer le joug de l'oppression juive» et qui se révèle payante. Ce journal continue sa propagande anti-juive, même après les élections, tandis que le docteur Molle, nouveau maire d'Oran, multiplie les procédés indignes à l'égard des juifs.

Le journal «le petit Oranais» qui s'adresse «à tous les aryens de l'Europe et de l'univers» a pris pour manchette permanente une diatribe de Martin Luther : « il faut mettre le soufre, la poix, et s’il se peut le feu de l’enfer aux synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des juifs, s’emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés. »

Obligé, à la suite d’une plainte du gouverneur général Violette de retirer cette manchette, le journal ornera, quelques années plus tard, sa première page d’une croix gammée.

Le docteur Molle crée un mouvement d'extrême droite, le parti national populaire. Elu député d'Oran en 1928, il est tenu en suspicion par les milieux nationaux métropolitains.

Les Unions Latines du docteur Molle prospérèrent et, de 1926 à 1932, elles domineront la vie politique de l'Oranie.

En 1932, un an après la mort du docteur Molle, Oran et Sidi-bel-Abbès éliront encore des députés qui se proclament d’abord anti-juifs, par exemple Michel Pares qui se mettra au service de Mussolini.

Avec la montée de la crise économique, l’antisémitisme un peu assoupi de 1932 à 1934, se réveille ; on voit réapparaître sur les murs d'Oran des papillons reprenant les vieux mots d'ordre de 1898 : « acheter chez les juifs c'est ruiner le commerce français» ou encore «ton ennemi c'est le juif, il t'exploite, il te vole » ou ceux de 1919 «pactiser avec les juifs c'est trahir la France » ; et même ce slogan fort inadapté de 1935 : « les juifs font la vie chère.»

La police voulut en faire endosser la paternité aux musulmans, mais ceux-ci pouvaient-ils écrire : « la France aux Français, les juifs en Palestine.

Le « petit Oranais » retrouve son ton furieux de 1925 ; d’immenses croix gammées peintes au goudron apparaissent sur le mur des édifices d’Oran.

Les établissements Juan Bastos ornent leurs cahiers de papiers à cigarettes de 12 croix gammées sans qu’on puisse dire s’il s’agit d’un manifeste politique ou d’un sens publicitaire dévoyé.

La crise économique est toujours fort préoccupante et, le 17 décembre 1933, « Oran matin » note :  babouchiers, cordonniers, brodeurs n’ont plus rien à faire ; tous se promènent dans les rues offrant le triste spectacle du chômage et de ses funestes conséquences.

Sur les vingt deux mille juifs que compte Oran à ce moment-là, cinq mille sont ouvriers, colporteurs ou domestiques. Mais, quatre mille cinq cent vingt trois sont indigents et secourus par leur consistoire.

Le maire, quant à lui, constate que « des tribus entières de pauvres diables n’ont rien ; tant que durent les figues de Barbarie, ils peuvent vivre ; après ils en sont réduits à voler. »

La crise viticole des années 1934 et 1935 favorise la création de fronts paysans ; celui d'Oranie explique qu'une adhésion signifie un ordre de mobilisation, un ordre de combat.

La campagne du Front Populaire sert également de prétexte à une nouvelle et vigoureuse poussée d’antisémitisme.

A Oran, le maire, l’ex-abbé Lambert, prêche, coiffé du casque colonial et ceint de l’écharpe tricolore, la mobilisation générale contre les juifs et le Front Populaire.

Fondateur des « amitiés Lambert », ou « amitiés latines », puis du rassemblement populaire d'action sociale, le maire d'Oran, l'abbé Lambert reprend la politique anti-juive des « unions latines » et désigne le Front Populaire comme une manifestation d’impérialisme juif. Il invective publiquement « ces gens qui n'ont pas de la terre de France à la semelle de leurs souliers » ; à quoi le conseiller Ghighi réplique vivement : « les mille trois cent soixante et un juifs d'Algérie dont quatre cent quatre vingt seize oranais, morts sur les champs de bataille de 1914 à 1918 n'ont-ils point de la terre de France sous leurs souliers ? »

Même les croix de feu du professeur Stanislas Devaud, qui veut être élu député passent outre aux souvenirs de la guerre pour battre la générale contre les juifs.

Le 30 décembre 1937, bien que prêtre frappé d'interdit, l’abbé Lambert déclare, revêtu de sa soutane, « les juifs ne poursuivent qu'un but : se rendre maîtres du monde. Ils ont crucifié le Christ et attendent le Messie pour nous tenir sous leur domination.»

Or, ce dangereux démagogue, idole de la plèbe oranaise, qui ne l'appelle que le « senor cura », déchaîne l’enthousiasme à chaque discours.

Son buste, vendu 3 francs, se trouve dans toutes les maisons oranaises ; c’est, parait-il, une précieuse amulette pour les femmes en couches.

En réponse au slogan diffusé par « Oran républicain » : « un juif vaut bien un breton », l'hebdomadaire « Oranie populaire » écrit : «  un juif vaudra un breton, le jour où les juifs donneront à la France, un Du Guesclin, un Dugay Trouin et quatre cent mille des leurs pour la patrie.»

Le journal antisémite « Oran matin », surnommé « Oran Berlin » commente : «Doriot est notre dernière raison d'espérer, mais avec lui rien n'est perdu.»

Il faudra la loi du 21 avril 1939, réprimant les excitations à la haine raciale pour faire taire provisoirement les anti-juifs d’Algérie.

L’abbé Lambert avait bâti sa propagande sur ses talents de sourcier, promettant l’eau douce à tous les Oranais. Mais c’est bien après lui, le 24 juillet 1952, que la ville et la région ont été alimentées en eau douce, par le barrage de Béni-Bahdel. Et, histoire de se rappeler le bon temps, bon nombre d’Oranais ajouteront du sel dans leur tasse de café.

L’Oranie s'enfiévra dangereusement au contact de la guerre civile espagnole.

L’abbé Lambert prêchait aussi l’aide à la « reconquista », et saluait en Franco, l'homme providentiel qui voulait « rétablir l'ordre et la discipline, le respect de la propriété privée et de la personne humaine au milieu des désordres et de l'avachissement des intelligences.» Bientôt, les élus de droite se feront une gloire d’avoir été les premiers à réclamer la reconnaissance officielle du gouvernement Franco. Pendant que les dirigeants des « unions latines » ravitaillaient les franquistes en volontaires et en argent, les syndicats d’Oran participaient à la contrebande de guerre et facilitaient les départs des brigades internationales.

 

 

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